"Louange à Dieu seul, que la Prière et le Salut soient sur le Prophète, Sa Famille et Ses Compagnons,
Monsieur le Président de la République,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Chacun comprendra ici qu’en cet instant d’exception, mes premiers mots et mes premières pensées aillent vers feu S.M. Hassan II, que Dieu le garde en Sa Sainte Miséricorde.
C’est en effet à vos côtés, Monsieur le Président de la République, à la tribune du 14 juillet dernier, que mon auguste père a scellé l’un des derniers actes de son règne, l’un des plus émouvants aussi, en choisissant cette fête de la liberté et des droits de l’Homme, pour donner une dimension inédite à la communauté de nos idéaux et à la riche singularité de nos destinées.
Ce jour-là, Monsieur le Président de la République, Mesdames et Messieurs, les gestes de la politique et les mots de la diplomatie ont été portés par la vérité des hommes et par les valeurs qui leur sont les plus chères. Quand sur les Champs-Elysées la Garde Royale marocaine a ouvert le défilé des troupes françaises, quand l’hymne national du Royaume du Maroc a mêlé ses accents à ceux de la Marseillaise, les peuples français et marocain ne s’y étaient pas trompés. L’indicible proximité, la singulière intimité que chacun d’entre nous ressentait mais sans toujours savoir où pouvoir l’exprimer, venait de prendre corps avec éclat et avec émotion, forgeant au plus profond de nos deux pays les réflexes et les attitudes qui fondent la force et la légitimité du partenariat différent, ambitieux et novateur que le Maroc et la France veulent promouvoir et construire ensemble, au sein de la communauté des Nations.
Car, Monsieur le Président de la République, c’est bien de cela qu’il s’agit et c’est le projet qui me mobilise désormais. C’est vrai qu’aujourd’hui, examinant le cadre et le détail de nos relations, qu’elles soient politiques ou économiques, il y a tout lieu d’être satisfait.
Au Maroc, la France est première partout. Premier investisseur, premier client, premier bailleur de fonds et je pourrais citer d’autres domaines de notre coopération où l’excellence et la performance sont souvent au rendez-vous. Je pense notamment à la démarche pionnière de la France qui a su la première, transformer une partie de sa dette, en investissements productifs.
De façon plus générale, et je le note avec le plus grand plaisir, le Maroc en France est aujourd’hui plus proche de vous et plus familier à tous les Français qu’il ne l’a jamais été. Je rends hommage à cet égard, à tous ceux à qui l’on doit l’exceptionnelle qualité et le très grand succès du "Temps du Maroc" qui vient d’éteindre ses dernières lumières, après avoir tellement fait pour nous rapprocher en nous faisant mieux connaître et mieux apprécier pour être mieux aimés.
De la musique à la littérature, de l’économie à la réflexion institutionnelle, c’est une autre page de notre histoire déjà très riche que 200 villes en France et plusieurs milliers de manifestations, viennent d’écrire souvent avec passion, toujours avec talent.
Ce "Temps du Maroc", qui en France, fut un temps de grâce, Mesdames et Messieurs, m’autorise à ajouter que ces acquis n’ont de sens et n’auront de pérennité que si nous les situions désormais dans la perspective et dans la dynamique d’un partenariat à la fois volontariste, solidaire et exemplaire.
Le projet de société que le Maroc a construit et qu’il continue d’affiner régulièrement, s’inscrit en effet dans la même logique, le même espace stratégique, les mêmes valeurs universelles qui sont de façon générale, celles de la France et du monde moderne. Mais ces convergences profondes et structurelles, enracinées dans la performance économique que j’évoquais tout à l’heure, ont besoin d’un autre projet global pour donner le meilleur d’elles-mêmes. Elles appellent aussi à la définition d’un cadre institutionnel nouveau, susceptible d’apporter son véritable souffle et sa vraie finalité à cette relation que nous voulons entre nous, différente et substantielle.
Monsieur le Président de la République, De cette approche découle ma conviction profonde que les mécanismes traditionnels de coopération bilatérale à partir desquels s’organisent et se développent nos rapports, ont atteint les limites de leur efficacité.
Nous avons ensemble si bien travaillé que l’habit que nous nous sommes confectionnés est devenu quelque peu étroit. Il est même en partie démodé, si l’on considère que certains des textes qui régissent encore notre coopération remontent dans bien des cas, aux années soixante. Nous devons donc désormais nous atteler à identifier et à rationaliser un autre espace bilatéral pour donner à nos relations une autre profondeur et d’autres règles du jeu. Nous avons aussi à établir ensemble des critères d’appréciation des risques mutuels que nous aurons à prendre, qui soient en meilleure adéquation avec la réalité du Maroc d’aujourd’hui et en meilleure cohérence avec les objectifs que nous devons nous fixer pour l’avenir.
Ce cadre à inventer, M. le Président de la République, si nous le mettions en place, s’il donnait les fruits que nous serions en droit d’espérer de son originalité pourrait être exemplaire. Le propos est audacieux et il peut paraître manquer d’humilité. Mais il est au contraire pragmatique et réaliste.
Pragmatique et réaliste parce que si la France avec la place et le rôle qui sont les siens au sein de l’Union européenne et le Maroc, pays arabo-musulman, dont chacun reconnaît le rayonnement spirituel et la présence effective sur les scènes du Moyen-Orient et en Afrique notamment, établissaient les modalités de ce partenariat différent, alors existerait enfin la référence qui fait défaut pour donner crédibilité, réalité et contenu à cette Arche du Sud, ce pont entre les deux rives de la Méditerranée que vous avez été le premier à évoquer il y a cinq ans, M. le Président, en parlant justement de ce grand dessein euro-méditerranéen qui tardait et tarde à émerger.
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
C’était à Rabat en effet, en juillet 1995 que la France a évoqué cette grande ambition pour l’Europe, et vous affirmiez déjà, M. le Président de la République, que cette ambition devait s’inspirer de l’exemplaire coopération entre le Maroc et la France. Nous sommes aujourd’hui à ce rendez-vous de l’histoire et beaucoup de fées pourraient se retrouver autour de son berceau.
C’est dans quelques semaines que la France présidera le Conseil européen avec la Méditerranée à son ordre du jour. Serait-ce là l’occasion historique de bousculer le cadre politiquement correct mais finalement conventionnel qui s’est esquissé à Barcelone et dont cinq ans après, nous mesurons ensemble les limites et les incertitudes.
Le moment est peut-être aussi venu de donner à l’agenda européen dans notre région, des tonalités différentes : des tonalités qui laisseraient espérer au Maroc comme à d’autres pays du Sud de la Méditerranée, qu’ils pourraient prétendre à un partenariat qui serait à la fois :
- plus et mieux que l’Association revue et corrigée à laquelle nous nous sommes attelés,
- et peut être pour quelque temps encore, un peu moins que l’adhésion que nous dictent pourtant la raison, la géographie et les réalités au quotidien de la vie économique, sociale et culturelle dans nos pays.
Mon propos, M. le Président, ne vise pas un effort conjoncturel qui resterait celui du domaine de l’imagination politique ou d’une rhétorique qui serait celle du discours académique de l’instant.
J’ai au contraire la conviction que nous pouvons et que nous devrions maintenant bousculer quelques tabous, dans la perspective d’un pacte singulier auquel ensemble nous saurons donner le contenu stratégique, politique et économique qui est le juste corollaire des solidarités de fait et de destin qui nous lient depuis tellement longtemps.
Vous l’avez constaté, mesdames et messieurs, le Maroc est cohérent dans ses choix et dans ses combats au premier rang desquels demeurent la paix entre Palestiniens, Arabes et Israéliens et la réconciliation tant attendue, tant souhaitée, entre Musulmans et Juifs. Je l’ai souvent souligné, la dignité retrouvée, la même liberté également partagée, ne se marchandent pas. Ces principes fondamentaux sont universels et intangibles comme l’est le respect scrupuleux des engagements pris. Je pense en vous le disant, aux territoires arabes qui demeurent occupés. Je pense bien évidemment à Jérusalem, cet espace de convergence, de dialogue et de cœxistence où chacun doit retrouver sa place et ses droits.
Acteur historique et déterminé de ce processus, le Maroc n’a plus à démontrer son engagement pour une paix juste et durable, une paix qui, au-delà des Etats et des gouvernements, doit aussi devenir celle des cœurs et des esprits.
Il nous faut pour cela redonner plus de couleurs et de vie au contrat de confiance qu’Arabes et Israéliens avaient commencé à bâtir et qui est aujourd’hui trop souvent fragilisé par le doute, la suspicion et parfois la lassitude.
Monsieur le Président de la République,
Le sentiment que j’exprime ce soir est celui de ma génération. Celle des femmes et des hommes qui au Maroc conjuguent l’enthousiasme de la jeunesse avec la raison et la lucidité qui, naturellement, accompagnent le combat que nous voulons prioritaire pour plus et mieux de développement, plus et mieux de croissance, plus et mieux de rayonnement spirituel et de capacité à nous ouvrir à l’autre et aux autres.
Ce sentiment, Mesdames et Messieurs, est aussi celui d’un monarque, d’un chef d’Etat arabe et musulman qui veut avec le siècle naissant, partager avec le peuple français, sa vision d’un espace régional de solidarité et de modernité qui, des deux côtés de la Méditerranée, saura débarrasser nos sociétés de ce qui leur reste d’archaïsmes et de ces vieilles peurs qui ont trop longtemps hanté et embrumé nos esprits.
Ce projet de société, Monsieur le Président de la République, nous ne le gagnerons pas seuls. C’est ma conviction et celle de tous les Marocains. C’est aussi notre espoir que de voir la France s’y associer en y mettant la détermination politique, l’audace, la créativité et les moyens qui donneront à cette alliance du progrès ses meilleures chances d’aboutir. Je termine, Monsieur le Président de la République, comme j’avais commencé, en saluant l’exceptionnelle confiance qui caractérise les relations que nos deux pays se sont attachés à façonner en y apportant le meilleur d’eux-mêmes.
Je vous remercie également, Monsieur le Président de la République, pour votre accueil si chaleureux et pour la délicatesse de vos attentions. Son Altesse Royale la Princesse Lalla Hasna et moi-même y avons été très sensibles et je voudrais dire aussi à Madame Chirac combien nous sommes touchés par son extrême gentillesse, sa disponibilité et les égards qu’elle n’a cessé de nous manifester depuis notre arrivée.
Mesdames et Messieurs,
Je porte un toast en l’honneur et à la santé du Président de la République française et de Madame Chirac.
Je lève mon verre au bonheur et à la prospérité du peuple français.
Vive la France,
Vive le Maroc,
Vive l’amitié maroco-française.